Juin 2018, dans un Ehpad, quelque part en France. Une vielle dame vit ses derniers jours dans une souffrance physique et morale intolérable. Un mois plus tôt, quand on lui a découvert une gangrène de sa jambe gauche, on lui a expliqué sans ambages que ce serait la scie ou la vie. Elle a écarté la première et renoncé à la seconde ; refusé l’hospitalisation et réfuté l’amputation. Elle s’imaginait encore, avec une naïveté émouvante, que dans notre beau pays, on avait le droit de mourir dans son lit, dignement et sereinement. En y bénéficiant de soins palliatifs et d’un accompagnement empathique jusqu’à son dernier souffle. Ce que la Loi qualifie joliment de « sédation profonde et continue, maintenue jusqu’au décès ».

Mais c’est sans compter sur le binôme de médecins chargé de sa prise en charge. Contre toute attente, le médecin coordonnateur de l’établissement et le généraliste traitant de la résidente, en décident autrement. Ils s’opposent à la venue, dans l’Ehpad, du service d’hospitalisation à domicile. Ils refusent même de prescrire les patches morphiniques préconisés par une équipe mobile de professionnels spécialisés en matière d’antalgie, venus sur place promulguer leurs conseils avisés. Les bras croisés et le regard froid, les deux praticiens restent ainsi inactifs durant cinq longues semaines à contempler, sans la moindre empathie, la pauvre nonagénaire en train de se momifier dans une posture pathétique, la main dressée comme une barrière dérisoire à la douleur. Ils vont jusqu’à interdire au personnel soignant d’effectuer toute mobilisation, provoquant l’aggravation incontrôlable des escarres et laissant les asticots et les mouches nécrophages commencer à grignoter son corps dénutri, mais encore vivant.

Alors la fille de leur victime donne libre cours à sa colère et son chagrin. Comme l’aurait fait, sans aucun doute, tout un chacun en pareille circonstance. Mais elle choisit de vider l’abcès dans un réseau social et les médecins maltraitants ne goûtent pas cet épanchement. D’autant que celui-ci se répand largement sur l’hexagone. Ils décident de citer l’infâme Facebookiste à comparaitre devant un tribunal correctionnel pour « diffamation publique ».

Et c’est là que j’entre dans la danse. La prévenue me contacte et me missionne afin que je l’assiste dans son procès en tant qu’expert en médecine légale et judiciaire. Elle m’exprime sa volonté de connaitre les conditions précises de fin de vie de sa mère. Et les raisons de cet acharnement médical inhabituel dans un pays civilisé. Je lui demande aussitôt de se faire communiquer toutes les pièces médicales de sa malheureuse parente, finalement décédée peu de temps auparavant. En me fondant sur les documents officiels transmis aux ayants-droits par l’Ehpad, le service d’HAD et l’Assurance Maladie, je reconstitue le scénario sordide de cette épouvantable agonie. Quelques jours plus tard, je remets mon analyse en main propre à ma mandataire. Celle-ci l’adresse à l’Agence Régionale de Santé en accompagnement de son propre signalement.

Ce courrier restera lettre morte, mais sera transmis aux deux praticiens. Désormais informés de l’existence de mon rapport et constatant qu’en termes sévères, mais en l’occurrence justifiés, j’y fustige la totale inadéquation de leur prise en charge avec les règles de bonnes pratiques, mes confrères déposent une plainte disciplinaire contre moi devant l’Ordre des Médecins. Non pas sur le fond, incontestable, ni sur mes arguments, inattaquables, mais sur ce qu’ils considèrent comme un « manquement au devoir de confraternité » de ma part. En effet, selon eux, un médecin ne doit jamais dénoncer ses collègues. Quoiqu’ils aient fait, serait-ce un comportement de tortionnaires à l’encontre d’une personne âgée vulnérable. Des agissements en violation flagrante de tous les principes juridiques, éthiques et déontologiques relatifs à l’accompagnement terminal.

Alors, pendant dix-huit mois, je mène des investigations médico-légales approfondies, analyse toutes sortes d’écrits, sonde les archives, décortique les ordonnances, recueille des témoignages, épluche les médias, scrute internet, sollicite des informations et accumule les preuves. Une véritable enquête policière, à l’ancienne, avec interrogatoire de témoins et fouille des poubelles. En conservant précieusement une pince à linge sur le nez. Car ce que je découvre dépasse l’entendement. Une grève historique de quatre mois décrétée par le personnel soignant de cet Ehpad contre les mauvais soins délivrés dans la structure ; des plaintes multiples en Gendarmerie de familles et de résidents de l’établissement contre des agissements similaires de ce triste tandem ; des documents médicaux falsifiés par les mêmes individus avant d’être remis à des ayants-droits ; des ordonnances fabriquées de toutes pièces avant d’être produites en justice ; des licenciements abusifs de professionnels de santé un peu trop récalcitrants. Je démasque les rouages occultes du milieu médical. J’exhume les secrets enfouis de l’Organisation ordinale. Je mets à jour les odieux petits arrangements entre amis.

J’apprends surtout à mes dépends qu’on ne doit jamais s’attaquer à des membres titulaires de l’Ordre des Médecins… ou à leurs compères. Quelles que soit la gravité de leurs fautes et la qualité du dossier constitué à leur encontre. Cette Institution est parvenue à conserver jusqu’à aujourd’hui le privilège anachronique et exorbitant d’être à la fois juge et partie. Contre vents médiatiques et marées populaires. Malgré les reproches et les controverses.

Soutenus par leurs acolytes, les deux médecins sont protégés, excusés et finalement absouts. Ils sont confortés dans leurs exactions et, à l’heure où je rédige cette chronique, ils sont autorisés à poursuivre leur conduite sacrilège auprès des pensionnaires de l’Ehpad dans lequel ils continuent d’exercer leur art en toute impunité. Quant à moi, la simple rédaction d’une expertise vient de me valoir le glorieux privilège de me faire radier pour « anti-confraternité » (sic). Appel en cours, affaire à suivre… Je n’ai bien sûr pas dit mon dernier mot !

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.