Pour se former et s’informer, les médecins privilégient la lecture. Pas celle des mensuels « people » ou des magazines TV mais celle des médias spécialisés à parution le plus souvent quotidienne ou hebdomadaire. Ils y découvrent que le nouveau Levothyrox n’a aucune raison d’être plus mal supporté que l’ancien, y apprennent que les effets néfastes de la Depakine chez les femmes enceintes ne sont pas si graves que cela et s’y persuadent que l’aluminium de nos adjuvants n’est toxique que dans la tête des anti-vax.

Il faut dire que toute la presse médicale professionnelle est soutenue financièrement par l’industrie pharmaceutique. Toute ? Non… car une poignée de publications intrépides résistent encore et toujours à l’envahisseur. La plus connue d’entre elles est, sans conteste, la « Revue Prescrire », réputée comme lanceur d’alerte et pour ses analyses au vitriol des médicaments nouvellement autorisés à être mis sur le marché. Peu d’entre eux obtiennent l’appréciation « éventuellement utile », si convoitée, alors que la quasi-totalité subit la redoutable mention « n’apporte rien de nouveau », caricaturée sous  la forme d’un petit bonhomme costumé en médecin de Molière jetant une gélule à la poubelle  avec une mimique écœurée.

C’est dire si la parution, en avril 1984, d’un article dithyrambique dans le Rayon des Nouveautés de cette « Bible » vantant les potentialités extraordinaires d’un nouveau médicament psychotrope, bon pour tout, même sans diagnostic préalable et indemne d’effet secondaire indésirable, fut accueillie par toute la blogosphère médicale comme l’annonce du siècle. Big Pharma venait enfin de découvrir la panacée si longtemps espérée, à laquelle on donna d’ailleurs aussitôt et fort justement le nom commercial de Panaceum®.

Pourtant, de nombreux indices saupoudrés entre les lignes auraient du mettre l’hameçon à l’oreille des lecteurs : un seul comprimé par boite, trois laboratoires nationalisés unis pour le produire, une expérimentation clinique en « triple aveugle » avec des Belges et des Suisses, et surtout une molécule de base, la psychotropine, que l’on extrait d’un poisson pêché exclusivement au tout début du mois d’Avril… !

L’appât était grossier, la ficelle énorme, mais nombreux furent ceux qui tombèrent dans le filet. Et dès le lendemain, la Rédaction de « Prescrire » fut assaillie de demandes de précisions sur la posologie, le taux de remboursement ou la durée de traitement, émanant de médecins, de pharmaciens, de professeurs de thérapeutique, de centres antipoison, de journaux médicaux et autres laboratoires. Le Directeur de la publication dut faire paraitre un démenti, assorti de ses plus plates excuses, avouant qu’il s’agissait du premier… et certainement du dernier Poisson d’Avril de cette revue, à l’accoutumée si sérieuse.

Si certains professionnels de santé se contentèrent d’en sourire, jurant mais un peu tard qu’on ne les y prendrait plus, d’autres prouvèrent qu’ils avaient définitivement enterré leur humour carabin en même temps que leur bréviaire de chansons paillardes dans les salles de garde de leurs années estudiantines. On vit ainsi des lecteurs résilier leur abonnement en représailles et au risque de mettre en danger l’indépendance financière de ce qui constituait, à l’époque, leur seule source honnête, objective et fiable de données pharmacologiques.

La morale de cette histoire parfaitement authentique révèle que même des prescripteurs bardés de diplômes peuvent parfois faire montre d’une absence totale de sens critique, que dis-je… d’une naïveté, d’une crédulité, voire d’une béatitude vis-à-vis des informations qu’ils reçoivent. Comme celles que leur distille l’industrie pharmaceutique à travers la presse médicale qu’elle soutient, les études scientifiques qu’elle finance, la pseudo-formation continue qu’elle alimente et le discours formaté de ses visiteurs médicaux. Et toutes ces infox finissent par corrompre la relation entre le thérapeute et son patient. Alors comment reconnaitre le bon praticien ?

A ses lectures : le bon praticien ne doit pas se limiter aux revues gorgées de publicités médicamenteuses, mais s’intéresser à celles qui traitent de recherche fondamentale ou d’études cliniques indépendantes et s’autofinancent par les abonnements de ses lecteurs..

A sa formation continue : mieux vaut celui qui sacrifie de temps à autre une ou deux journées de consultations pour parfaire ses connaissances auprès d’un organisme agréé plutôt qu’un autre qui reçoit quotidiennement une armée de délégués de laboratoire, dîne deux fois par semaine aux frais de la princesse dans les meilleurs restaurants de la région ou participe épisodiquement à des congrès-séminaires de racolage sur des îles paradisiaques.

A ses prescriptions : méfiez-vous de celui qui ne pond que des ordonnances à rallonge, qui prescrit simultanément à tout le monde dans votre quartier le même produit en vogue, qui remplace inopinément votre thérapeutique préférée par le tout nouveau médicament super-efficace (mais cher) du gentil Laboratoire qui justement vient de sortir de son bureau. Préférez celui qui vous écoute d’abord, qui vous examine ensuite et qui ne sort, ou pas, son ordonnancier qu’en dernier.

A sa façon de pratiquer : fuyez le praticien qui ne jure que par le tout-puissant médicament, surtout le « tout nouveau, tout beau ». Rapprochez vous de celui qui témoigne d’une ouverture d’esprit, qui évoque avec vous d’autres médecines, qu’elles soient complémentaires, parallèles, alternatives, douces ou pas, mais par-dessus tout, naturelles.

Et surtout rappelez-vous que « tout ce qui est écrit n’est pas forcément vrai et tout ce qui est vrai n’est pas forcément écrit », mais que certaines publications font, plus que d’autres, l’effort de s’approcher de la Vérité.

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